L’intimidation silencieuse en milieu de travail : des signes à ne pas négliger

HEC Montréal Gestion 11 décembre 2023 | Par Anne-Marie Tremblay

En milieu de travail, des paroles ou gestes spontanés peuvent entraîner des situations semblables à une étincelle provoquant un incendie.

De là, l’importance pour les dirigeant.e.s d’entreprises et gestionnaires de s’informer au sujet de l’intimidation silencieuse, le harcèlement, la discrimination ou une micro-agression.

Car, au Québec, depuis 2019, les employeurs ont l’obligation d’adopter une politique contre le harcèlement sexuel et psychologique.  

Voici 5 priorités suggérées par des spécialistes afin d’assurer un climat harmonieux en entreprise.  

1. Savoir reconnaitre le comportement  

La conférencière et autrice du livre « J’te vois », Linda Valade  explique l’importance d’identifier les paroles ou agissements inappropriés.  

En réunion, par exemple, une personne roule des yeux, symbolisant un mépris face à l’opinion émise par quelqu’un.  

Même si aucune parole n’a été prononcée, une communication a été transmise, observe Mme Valade. Ce roulement des yeux ou un soupir sont l’équivalent d’un geste de dénigrement. « C’est la première étape de dévalorisation où la personne se sent malmenée, explique-t-elle.  Bien souvent, elle ne sait pas comment se défendre. »   

« Cela s’appelle de l’intimidation silencieuse. Il faut identifier ce comportement et dire : c’est inacceptable. » 

Solution : sensibiliser les employé.e.s par une formation sur l’intimidation silencieuse et ou le harcèlement psychologique. « Nous sommes tous des intimidateurs silencieux potentiels, croit Mme Valade. Il faut juste en prendre conscience. »  

Par la suite, l’équipe met en pratique les apprentissages. « Si quelqu’un a un mauvais comportement, on lui dit gentiment : j’te vois », précise-t-elle en souriant.   

Le saviez-vous ?  

« L’intimidation silencieuse ou le harcèlement psychologique est un processus constitué d’un enchainement de propos et d’agissements hostiles qui, pris isolément, pourraient sembler anodins, mais dont la répétition constante a des effets pernicieux » - Heinz Leymann, psychologue suédois et pionnier sur la recherche en ce domaine.  

2. Des réunions exemplaires deviennent un milieu sécuritaire  

Avant la tenue d’une réunion ou d’une activité, l’équipe décide des règles et du code de conduite. « Le temps alloué par exemple est de X minutes par personne. On indique que toutes les opinions sont bienvenues », suggère Julie Dumontier, conseillère en éducation et coopération à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse. 

« Le but est de créer un espace sécuritaire où tout le monde se sent à sa place et se respecte. C’est là que commence l’inclusion », ajoute-t-elle.   

Attention aux mauvaises blagues 

Au Québec, la jurisprudence compte de nombreux congédiements de gens ayant prononcés une blague de mauvais goût. Un agent de sécurité, par exemple, a proféré des paroles racistes face à un collègue musulman. Puis, devant un client, il a prétexté une blague pour tenir des propos à caractère homophobe. Au tribunal, l’individu a invoqué son droit à la liberté d’expression. Son congédiement a toutefois été maintenu. Dans sa décision, le juge a tenu compte de son absence de remords. 

« Au travail, observe Linda Valade, on entend souvent :  

-Mais voyons c’est une blague! Demandez-vous si cette blague fait rire et surtout, quelle en est l’utilité ? »  

Des remarques inappropriées et désobligeantes 

Lors d’une formation sur le sexisme et le harcèlement en milieu de travail, la conseillère en éducation et coopération à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, Julie Dumontier, a reçu cette confidence d’une participante.  

- Tu es belle pour une grosse, lui a dit un collègue.   

Avec aplomb, l’employée en question lui a répliqué d’un ton acerbe : ce n’est pas du tout un compliment et va donc…  

Comment réagir si la stupeur nous frappe et l’on devient aphone ?  

« Parfois, les gens ne sont pas à l’aise de répondre et c’est très correct, indique Mme Dumontier. Légalement, c’est à l’employeur de s’assurer que tout le monde est respecté dans son milieu. »  

Solution : si le gestionnaire ou dirigeant.e est au courant de cet échange de paroles, il doit intervenir. Dans un milieu non syndiqué, la victime peut aussi déposer une plainte à la CNESST. S’il y a un aspect discriminatoire au harcèlement, la Commission des droits de la personne est un autre recours possible.  

Un geste spontané qui porte atteinte à la réputation  

Enfin, le responsable de l’entretien ménager d’un hôtel à Québec a été suspendu sans solde pendant quatre mois en raison d’une publication sur les médias sociaux. Le jeune homme a diffusé un montage de photos le montrant, torse nu, en compagnie de deux collègues. Même s’il avait apposé un bandeau noir sur leurs yeux, les employées étaient facilement reconnaissables. L’arbitre n’a pas retenu l’hypothèse d’un geste irréfléchi et a surtout déploré une atteinte à l’honneur et à la réputation des deux jeunes filles.  

4. Savoir repérer les micro-agressions  

En milieu de travail, les femmes, personnes homosexuelles, minorités ethniques subissent plus souvent des micro-agressions qui peuvent devenir à la longue du harcèlement envers elles.   

Voici 3 exemples de micro-agression :  

1. Refuser qu’un.e collègue fasse partie de son équipe sous prétexte d’un manque d’affinités.  

L’ostracisme peut constituer une forme de harcèlement et d’intimidation psychologique. L’employeur doit obtenir la version de la personne ostracisée et de ceux ou celles qui adoptent ce comportement répréhensible. De plus, il faut préciser ses attentes au sujet des comportements attendus.  

2. Réfléchir avant de poser une question  

En milieu de travail, certaines questions sont à proscrire.  

- Et pis ta fin de semaine avec ta blonde ?, dit quelqu’un.  

Dans le groupe, certaines personnes n’ont peut-être pas de blonde, mais plutôt un amoureux alors que d’autres vivent une autre situation. « En ne le sachant pas et en le présumant, la personne créée un malaise », dit Julie Dumontier.  

De plus, l’employé à qui on pose la question ne veut sans doute pas révéler sa vie intime. « Si à chaque lundi matin ou lui demande : - Et pis ta blonde ? Cela cause un malaise à chaque fois et cela peut devenir une micro-agression », ajoute la conseillère à la CDPDJ.  

3. Les prénoms ou noms à consonnance étrangère 

Dans la manufacture, un employé porte un prénom de consonnance étrangère. Même s’il montre comment le prononcer, un employé réplique : « C’est trop compliqué, je vais t’appeler Bob. »  

« Une micro-agression, c’est un élément qu’une personne subit à répétition », explique Mme Dumontier.  La personne entend que son nom est compliqué et qu’elle ne vaut pas l’effort de tenter de le prononcer. Elle l’intériorise et, à un moment donné, cela finit par la gruger à l’intérieur. »  

En évoquant toujours cet élément distinctif, cela finit par atteindre son estime, son intégrité et sa valeur personnelle.  

Solutions: 1. Adopter une politique en matière de prévention de harcèlement;   

                   2. Sensibiliser les équipes aux comportements axés sur la bienveillance et la civilité. 

5. Le harcèlement discriminatoire en emploi 

Dès l’embauche et jusqu’au départ d’un.e employé.e, l’employeur est tenu d’offrir un climat exempt d’harcèlement et de discrimination. Prenons l’exemple d’Henri qui travaille depuis 10 ans pour la même compagnie. Entretemps, il décide de faire une transition en changeant de genre. Son retour au travail n’est pas facile. 

« Nous observons que le milieu de travail peut devenir plus hostile », dit Mme Dumontier.  

Discrimination à la suite d’un congé de maladie difficile ou de maternité 

Des situations d’injustice, voire de discrimination surviennent au moment d’un retour de congé de maternité ou de maladie. Une jeune femme est partie en congé de maladie alors qu’elle occupait depuis plusieurs années le poste de coordonnatrice, stratégie de commercialisation au sein d’une pharmacie.  

À son retour de congé de maladie, on l’affecte à un poste inférieur. Le tribunal administratif a jugé que la modification des conditions de travail de la salariée n’a pas été causée par la situation organisationnelle de l’entreprise. L’employeur a plutôt usé de ce prétexte pour l’écarter de son poste et la priver de son emploi. 

Contenu supplémentaire

À lire sur Pratiques RH: 7 leviers afin de prévenir le harcèlement en entreprise 

À voir : Tous formés à la prévention du harcèlement 

Formation sur le harcèlement de la CDPDJ

Le harcèlement versus la discrimination 

Au Québec, le harcèlement se définit comme une conduite vexatoire, humiliante, offensante ou abusive. « À plusieurs reprises, des commentaires vexants ont un impact considérable pour une personne. Un seul geste grave peut aussi constituer du harcèlement », précise l’avocate spécialiste en droit du travail, Me Florence Longval.  

Il faut savoir que les différentes manifestations de ce phénomène ont un effet durable et les micro-agressions, à force d’en subir, finissent par être du harcèlement.  

La discrimination survient lorsqu’une personne ou une organisation se fonde sur une caractéristique personnelle d’un individu pour lui refuser, par exemple, un emploi. Les motifs de discrimination sont par exemple le sexe, l’âge, la condition sociale, les antécédents judiciaires, l’identité de genre, la grossesse, le handicap.

« Le harcèlement et la discrimination sont deux concepts distincts dans différentes lois. Il y a des cas où les deux lignes se touchent. Si quelqu’un reçoit des commentaires sur son identité et expression de genre par exemple. Cela porte atteinte à sa dignité. Il peut déposer une plainte pour discrimination. La personne peut aussi remplir les critères de harcèlement psychologique », précise Me Longval.  

Des préjugés persistent face aux femmes  

De son côté, la conseillère en éducation et coopération à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, Julie Dumontier observe qu’il existe encore des préjugés face aux femmes. « On hésite à confier une promotion, un poste de gestion ou encore de gros mandats à une mère de jeunes enfants. »  

Ce phénomène s’appelle l’escalier inversé. « On présume qu’elle sera trop occupée et ne sera pas en mesure d’assumer cette responsabilité et ce, même si elle est peut-être la plus compétente de l'équipe. »   

« Concernant les hommes, ajoute Julie Dumontier, c’est l’inverse. Si un homme a des enfants ou des responsabilités familiales, on présume de sa compétence et son dévouement à effectuer plusieurs tâches. » 

Les personnes plus âgées  

Sur le marché du travail, les personnes âgées sont sujettes à des présomptions. « Il faut arrêter de présumer de leurs incapacités en technologie. Pourquoi ne pas se concentrer sur leurs forces et compétences comme on le fait avec n’importe quel.le autre employé.e ? », demande la formatrice de la CDPDJ

Conclusion : prévenir par la sensibilisation  

Nos expert.e.s concluent qu’une formation au harcèlement, à la discrimination ou à l’intimidation vont sensibiliser les troupes.  

« L’idéal, soutient Florence Longval, avocate en droit du travail, chez Fasken, c’est de prévenir le harcèlement en donnant des formations en amont. Il est bien difficile d’y remédier, une fois que le dommage est fait. »

L’autrice et conférencière Linda Valade a l’intime conviction qu’il y a du bon dans chaque être humain. « Les mauvais comportements, on peut les changer. Si on sensibilise une personne, on lui offre l’occasion de s’améliorer », conclut-elle.  

Bon à savoir   

Qu’est-ce qu'une présomption ? Une action de présumer ou un jugement fondé sur des apparences et non sur des preuves.  

Un préjugé : un jugement sur quelqu’un qui est formé d’avance, selon nos critères personnels. Cela oriente en bien ou en mal les dispositions à l’égard de cette personne.  

Un biais inconscient : le biais inconscient est influencé par l’âge, les capacités physiques et mentales, l’apparence physique ou la religion d’une personne. Cela a préséance sur nos jugements, comportements ou décisions.  

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